Un prince
Un prince à la chemise bouffante perlée d'or m'attendait dans la chambre. Je l'avais fait entrer puis je l'avais oublié. Il patientait près de la fenêtre. J'ai tout de suite vu en revenant vers lui qu'il ne m'en voulait pas de l'avoir oublié. Humble et fort, il était de la race des bénisseurs. Son âme ensoleillée diffusait dans la pièce une odeur de sainteté à quoi, même les yeux fermés, j'aurais reconnu mon invité : une branche de mimosa.
Quand j'étais jeune, mes livres s'écrivaient d'eux-mêmes. Je n'en étais pas le maître. La lune, l'herbe, le visage solaire de l'amoureuse et la vie qui est plus que la vie et la mort réunies, tout les écrivait. Ils étaient à peine « mes » livres. Je sortais d'une trentaine d'années d'enfermement. La robe blanche de l'amoureuse m'avait ébloui. De cet éblouissement avaient jailli des centaines de lettres et de carnets. Les mots que j'écrivais étaient comme les petits moulins que les enfants tiennent dans leur main, dont le vent brasse les ailes colorées. J'écoutais battre le tambour du cœur. Je sentais sur ma joue la main du soleil : un seul printemps et c'était tous les printemps, une seule seconde de vie et la vie était vécue dans sa totalité. L'amour c'est quand quelqu'un se met à vous parler comme une rivière, comme une étoile ou comme la fleur du chèvrefeuille dont le parfum me soûle et soûlait hier celle qui n'est plus là, celle qui est sous la terre, celle qui n'est pas sous terre mais auprès des anges dont elle sait désormais les prénoms.
Dans la penderie du ciel bleu, une robe blanche. Elle sort de la lessive de la mort. L'éternité la sèche.
Nous recevons la nouvelle de la disparition d'un être aimé comme l'enfoncement d'un poing de marbre dans notre poitrine. Pendant quelques mois nous avons le souffle coupé. Le choc nous a fait reculer d'un pas. Nous ne sommes plus dans le monde. Nous le regardons. Comme il est étrange. Le moins absurde, ce sont les fleurs. Elles sont des cris de toutes les couleurs. La moindre pâquerette cherche désespérément à se faire entendre de nous. Sa parole c'est sa couleur. Quand tu es morte, je suis devenu un drogué des fleurs. J'en mettais partout dans ma maison. Le monde, dont ta mort m'avait détaché, tournait lentement comme une boule noire dans le noir mais il y avait cette insolence colorée des fleurs, ce démenti jaune, blanc, rouge, bleu, rose au néant monocorde. Les religieuses dans les monastères savent l'importance explosive d'un bouquet de roses dans un pot de grès. Le poing de marbre s'est retiré de ma poitrine. Je suis revenu au monde comme l'enfant presse son visage contre la vitre. Le monde n'aime pas la mort. Il n'aime pas non plus la vie. Le monde n'aime que le monde. Il a donc repris toute sa place. Presque : je n'oublie pas ce que m'ont dit les fleurs en ton absence. Car j'ai fini par les entendre. La vie est à peu près cent milliards de fois plus belle que nous l'imaginons – ou que nous la vivons. Je vois la vigne vierge à la fenêtre. Des souffles colorés traversent le pré. Les fleurs sont les premières gouttes de pluie de l'éternel.
Yeux murés par l'éternel, j'avale les féeries de l'air. Et j'écris. C'est ma réponse au sans réponse, mon contrechant, un bruit d'ailes dans le feuillage du temps. Je ne peux pas te parler du mimosa puisque tu n'es plus là. Mais le mimosa, lui, me parle très bien de toi : tout ce qui est délicat a traversé le pays des morts avant de nous atteindre.